Le Nez de Jobourg

Max : « Bonjour Bonome. Tu as choisi l’itinéraire du jour ? »

Le chevalier : « Pas vraiment… »

Max : « De quoi as-tu envie ? »

Le chevalier : « Pas grand-chose… »

Max : « Je vois… Je comprends… Une promenade ? Pas trop de choses à voir. On prend l’air. On profite du soleil et de notre ami Le Vent. On se posera quelque part pour écouter ses histoires. Ça te va ? »

Le chevalier : « Ça me va. »

Max : « Je file l’annoncer aux cousins ! Je crois qu’ils sont déjà prêts. »

Un peu plus tard après la chevauchée…

Le Nez de Jobourg

Léo : « Tu veux bien nous dire où nous sommes ? »

Le chevalier : « Le Nez de Jobourg. »

Léo : « Le Nez de Jobourg ? C’est vrai ? »

Le chevalier : « Oui Léo 🙂 »

Samuel : « Tu connais cousin Léo ? »

Léo : « C’est un site connu. Mais je sais plus trop pourquoi. »

Max : « Tu as pas la carte géologique ? »

Le chevalier : « Version numérique ça te va ? »

Max : « Pourquoi ça m’irait pas ? »

Le chevalier : « Voilà… »

Extrait de la carte géologique (source : Géoportail)

Samuel : « M ? »

Le chevalier : « Migmatites. »

Max : « Yann, tu connais les migmatites ? »

Yann : « Mmmm… Je crois pas. Ou alors j’ai oublié. »

Léo : « Ça arrive d’oublier Yann. »

Max : « Qui veut faire le petit rappel ? »

Léo : « Max, tu te crois à la schola ? C’est ta question de début de cours ça ! »

Max : « Oups ! Pardon. »

Yann : « Petit Sam est plutôt doué pour les petits rappels. »

Samuel : « Max et Léo aussi. »

Léo : « Sam, je crois que Yann a envie que ce soit toi. Tu es très pédagogue. »

Samuel : « Les migmatites… Pas facile comme interro orale. Surtout qu’on voit pas d’échantillon. »

Yann : « Je suis sûr que tu vas y arriver petit Sam. »

Samuel : « Les migmatites sont des roches métamorphiques mais alors très métamorphiques ! Au départ il y a des roches. Elles sont soumises à un fort métamorphisme avec notamment une élévation de la température et aussi de la pression. Les roches fondent en partie. Juste un peu, beaucoup ou complètement. Si elles fondent complètement elles donnent un magma à l’origine d’un granite d’anatexie mais c’est plus une migmatite mais un granite. Tu suis Yann ? »

Yann : « Oui bien sûr. Le métamorphisme fait fondre en partie une roche. »

Samuel : « Oui c’est ça. Tous les minéraux fondent pas à la même température. Ce sont les minéraux blancs, riches en silice, qui fondent les premiers. Les minéraux sombres, riches en fer et magnésium, fondent plus tard. Évidemment les partie fondues vont se resolidifier. Ça donne des roches rubanées avec des bandes claires recristallisées qu’on appelle mobilisat et des bandes sombres appelées restites. »

Yann : « J’ai bien compris. Mais il vient d’où le métamorphisme ? »

Samuel : « Léo, tu veux bien prendre la suite ? »

Léo : « Si tu veux petit Sam. Il faut un fort métamorphisme avec élévation de la température et la pression. Ça peut se produire en profondeur dans une zone de subduction ou dans la racine crustale lors d’une collision continentale. »

Max : « Métamorphisme MP-HT ou BP-HT syntectonique. »

Léo : « Merci Maxou. »

Yann : « Et c’est quoi ? »

Léo : « Ça je sais pas. Ici ça peut être la subduction avant l’orogenèse cadomienne ou l’orogenèse hercynienne ou bien ces orogenèses. »

Yann : « L’orogenèse hercynienne en phase bretonne ! 🙂 »

Max : « Bonome ? »

Le chevalier : « Je vous dirai plus tard. Profitez du paysage ! »

Le Nez de Jobourg

Max : « Yann, nous attendons ta réplique préférée. »

Yann : « 😀 C’est vraiment très beau 🙂 »

Léo : « On sent l’affinité armoricaine. »

Samuel : « Léo ? Tu entends ? »

Léo : « Tarier pâtre… »

Max : « Il est là ! »

Tarier pâtre ; Saxicola rubicola (Linnaeus, 1766)

Max : « On voit pas beaucoup de zoisos… »

Léo : « C’est vrai mais c’est parce qu’on est concentrés sur la géologie. »

Yann : «  Et la beauté du paysage. »

Le Nez de Jobourg

Quelques centaines de mètres plus loin…

Le Nez de Jobourg

Léo : « Bonome, parle-nous un peu plus de ces migmatites s’il te plaît. »

Le chevalier : « Tu veux que j’affine ? »

Léo : « Oui parce que ce qu’a dit petit Sam est très juste mais c’est théorique et général. Ça décrit pas les migmatites d’ici. »

Le chevalier : « Alors j’affine. Mais… »

Max : « Qu’est ce qu’il y a bonome ? »

Le chevalier : « J’ai oublié un détail… »

Max : « Bon, tu affines ! On écoute ! »

Le chevalier : « Le secteur est bien constitué de migmatites. J’en parlerai après. C’est le Nez de Jobourg… Lui n’est pas en migmatites. »

Léo : « Il est en quoi ? On voit pas d’ici ! »

Max : « Et on peut pas y aller. C’est une réserve. »

Le chevalier : « Une ZNIEFF. »

Yann : « Une ZNIEFF ? »

Samuel : « Zone Naturelle d’Intérêt Écologique Floristique et Faunistique. C’est le premier niveau de protection d’un environnement. C’est la lande littorale qui est protégée je suppose. »

Le chevalier : « Oui mon petitours. »

Max : « Tu peux revenir aux roches du Nez de Jobourg s’il te plaît ? »

Le chevalier : « Il s’agit d’une diorite cadomienne. »

Max : « Une diorite ? Je me souviens plus… »

Samuel : « La diorite est une roche magmatique plutonique grenue constituée de feldspaths plagioclases, d’amphiboles vertes et de micas. Il n’y a ni olivine ni quartz : c’est donc une roche de type intermédiaire. La roche volcanique qui lui correspond est l’andésite. »

Léo : « Ça indique un rifting ou une subduction ou encore une fusion partielle en profondeur. Je pense plutôt à une subduction ici. »

Le chevalier : « Oui Léo. Les roches hydratées du plan de subduction ont connu une fusion partielle. Le magma est remonté et il a donné ce pluton en profondeur. »

Max : « Pendant l’orogenèse cadomienne… Donc les migmatites sont plus anciennes. »

Le chevalier : « Si le contact entre les deux était concordant ça serait plus simple… »

Léo : « C’est pas vraiment un pluton dans les migmatites ? »

Le chevalier : « En fait si. Mais ça s’est compliqué par la suite. Actuellement le contact entre la diorite et les migmatites se fait par faille. »

Yann : « Je sais que Cadomien ça veut dire très vieux. Mais c’est vieux comment ? »

Le chevalier : « Environ 610 millions d’années. »

Léo : « On a déjà vu des roches magmatiques intrusives de cet âge : le granite de Perros-Guirec et les volcanites de la Heussaye. »

Max : « Oui Léo ! On va finir par bien connaître les roches cadomiennes. »

Samuel : « Bon, on a donc encore une preuve de la subduction cadomienne. »

Max : « Et les migmatites ? »

Le chevalier : « Plus tard… »

Max : « Oui bonome. Bien bonome. On patiente… »

Accenteur mouchet ; Prunella modularis (Linnaeus, 1758)

Le chevalier : « J’ai envie d’une crêpe au chocolat. »

Léo : « Tu as parqué la monture non loin d’une taverne il me semble. Tu crois qu’il y a des crêpes ? »

Le chevalier : « Allons voir ! »

Max : « On pourra en avoir une ? »

Le chevalier : « Une chacun ? »

Max : « Bonome, on est gourmands mais quand même ! »

Samuel : « C’est surtout toi le gourmand cousin Max ! »

Le Nez de Jobourg

Samuel : « On sent bien que tu as faim. Tu cavales ! »

Le chevalier : « Je n’ai pas faim J’ai envie d’une crêpe au chocolat. »

Léo : « Tu veux bien faire une pause ? »

Le chevalier : « Bien sûr Léo. Tu as vu quelque chose ? »

Léo : « Oui, sur l’estran… »

De drôles de roches

De drôles de roches

Max : « Roches sombres avec un filon rose… »

Léo : « Affinités bretonnes… »

Samuel : « Dolérites et aplites ? »

Max : « Classique en Bretagne. »

Léo : « Alors pourquoi pas ici ? »

Samuel : « Cousin Yann, les roches sombres sont probablement des dolérites. Ce sont des roches basiques intrusives. On en a vu un peu partout en Bretagne notamment à la Plage des Grèves d’en Bas près de Fréhel. Si je me souviens bien elles datent du Dévonien terminal ou du Carbonifère basal. Cousin Léo avait hypothésé qu’il y avait eu une distension à l’origine de la fusion partielle du manteau et formation du magma basique. »

Max : « Yann, je te l’avais dit ! »

Yann : « Qu’est ce que tu avais dit Maxou ? »

Max : « Quand on était à la Plage des Grèves d’en bas petit Sam avait fait le résumé de nos observations. Je me souviens bien t’avoir dit qu’il serait capable de répéter tout pareil des années plus tard. Et bien voilà ! Il l’a fait ! »

Yann : « Et toi tu te souviens de ça 🙂 »

Max : « Parce que j’en étais sûr ! Il mémorise tout ! »

Samuel : « Cousin Max… »

Max : « Oui petit Sam ? »

Samuel : « Je suis pas autiste ou Asperger. »

Léo : « Bien sûr que non Sam. Tu as juste une mémoire prodigieuse. »

Samuel : « Je me souviens parce que j’ai la chance de voir tout ça. Se serait dommage de pas s’en souvenir ! »

Léo : « Je t’envie Sam… Moi j’oublie… »

Samuel : « Pas tant que ça cousin Léo. »

Yann : « Et les filons roses d’aplite ? »

Max : « Il sont de la fin du Carbonifère. Fin du magmatisme intrusif acide en fin d’orogenèse. »

Léo : « C’est le moment de faire l’histoire de la région. »

Max : « Sauf qu’on sait pas tout sur les magmatites ! »

Le chevalier : « Il va bien falloir que je vous le dise… »

Max : « Que tu nous dises quoi ? »

Le chevalier : « Leur âge… »

Max : « Ben oui ! Ça serait bien oui ! »

Le chevalier : « Un peu plus de 2 milliards d’années… »

Max : « QUOI ???!!! »

Le chevalier : « 2 087 ± 7 Ma »

Samuel : « C’est encore plus vieux qu’à Pors Raden ça ! Il me semble que tu avais dit 2 041 Ma. »

Léo : « Et au Ranolien ? »

Le chevalier : « Environ 2 milliards d’années. Peut-être un peu moins… »

Yann : « Ça c’est très très vieux ! »

Léo : « C’est le troisième site qu’on visite avec des roches aussi vieilles ! Il y en a combien en France ? 5 ou 6 ? La chaaance ! »

Max : « Sauf qu’on les voit même pas bien ces migmatites. »

Le chevalier : « Nous les verrons de près Max mais pas aujourd’hui. »

Max : « Quand ? »

Le chevalier : « Je ne sais pas. Je n’ai pas prévu d’ordre. Il y a ce socle très ancien et puis la couverture. Surtout du Cambrien d’ailleurs. »

Léo : « C’est plus logique de commencer par le socle. »

Samuel : « Surtout s’il est aussi vieux que ça ! »

Max : « On y va demain bonome ? »

Le chevalier : « D’accord 🙂 Vous ne deviez pas reconstituer l’histoire régionale à partir des observations du jour ? »

Max : « Si ! »

Léo : « Je peux faire ! Il y a des roches très anciennes dont on connaît ni l’origine ni l’évolution. On sait juste qu’elles sont engagées dans un plan de subduction puis dans la racine d’une chaîne de montagne cadomienne. Elles connaissent un épisode de métamorphisme et sont injectées par un magma intermédiaire qui vient de la fusion partielle des roches profondes dans le plan de subduction il y a environ 600 millions d’années. Plus tard, au carbonifère cet ensemble de roches impliqué dans l’orogenèse hercynienne est encore parcouru par un magma basique qui donnera les dolérites. Puis, en toute fin d’orogenèse quelques filons d’aplites se forment. »

Yann : « Près de 2 milliards d’années d’histoire en quelques phrases. Deux chaînes de montagnes et les océans qui leur correspondent et dont il ne reste rien d’autres que ces traces indirectes. »

Max : « C’est quel océan au Cadomien ? »

Le chevalier : « Ici c’est l’océan Celtique je crois. »

Léo : « Puis ce sera l’océan rhéique… Deux océans se sont ouverts puis refermés… »

Max : « Trois Léo. Nous sommes pas loin de l’Atlantique. »

Yann : « Ça donne le vertige ! »

Max : « Oui ben évite de tomber en bas de la falaise 🙂 »

Après ça on s’est assis au bord de la falaise en silence. On était songeur. Je crois qu’on pensais tous à ces deux océans disparus et aux chaînes de montagnes dont il ne reste rien. Le Vent nous a tourné autour en nous caressant délicatement. Il a vu le regard de bonome et a compris nos pensées alors il nous a raconté l’océan Celtique. On avait des grands sourires sous la truffe. Mais vous connaissez la règle : il est interdit de répéter les histoires que raconte Le Vent sinon il est plus notre ami. Comme c’est vraiment un bon ami on respecte le secret.

Bonome a mangé sa crêpe au chocolat et nous aussi. On s’est même pas tachés. Mais évidemment, on avait pas envie de rentrer. Pas du tout. Bonome voulait même se trouver un endroit où dormir dans la nature. Au retour on a un peu touristé. D’abord on s’est arrêtés dans la lande. Bonome avait vu un panneau. Il s’est engagé dans la lande, a laissé la monture et s’est mis à marcher. Et on a d’abord vu ça…

La lande brûlée

La lande brûlée

La lande avait brûlé ! Personne en a parlé ! C’est l’été d’avant. Le 17 juillet 2022. 4,5 hectares de landes sont partis en fumée. Il y a eu un incendie de lande dans le Cotentin ! Déjà qu’il y avait eu des feux en Bretagne ! Mais le Cotentin ! Tout ça à cause de la sécheresse. Les pompiers du nord de la Loire sont obligés de se former aux interventions contre les feux de forêts… Je préfère pas en parler. Ça va m’énerver. Vous savez que la Terre se réchauffe ? Que les températures deviennent mortelles dans certaines régions ? Que c’est de pire en pire chaque année ? Vous savez ça ? Vous allez réagir les zoms ? Pfff…

Mais bonome a continué à marcher et on a vu ça…

Les Pierres Pouquelées

C’est une allée couverte appelé Pierres Pouquelées. Elle date de 4 500 ans avant notre ère. Ça fait quand même 6 500 ans. C’est moins vieux que les migmatites mais ça fait pas pareil. Se dire que ce sont des zoms qui ont érigé ce monument…

Les Pierres Pouquelées

Les Pierres Pouquelées

Léo a fait remarquer que la présence de cette allée couverte renforçait l’aspect armoricain du Cotentin. Sauf que… Des allées couvertes il y en a un peu partout. On est même allés en voir une dans l’Oise. C’est pas la Bretagne l’Oise.

Au loin, on voit la grande plage de Vauville. Elle est bordée d’un marais en arrière dune. On s’est dit que ça ferait un autre bel arrêt imprévu.

Le marais de Vauville

La dune blanche couverte de mousse a vraiment tenté bonome. On voyait bien qu’il cherchait un endroit où passer la nuit. Pour éviter ça on cherchait des zoisos. Des tariers pâtres, des alouettes des champs, beaucoup de rougegorges… Et puis cette bergeronnette grise…

Bergeronnette grise ; Motacilla alba (Linnaeus, 1758)

Bergeronnette grise ; Motacilla alba (Linnaeus, 1758)

Rien d’exceptionnel. Pas beaucoup de diversité. Mais une belle balade. Après ça on est presque rentrés. On s’est arrêtés encore une fois, pas loin de la cabane, pour observer les cornéennes de l’autre côté du granite, Diélette. On vous raconte ça dans le prochaine article.

Continuer la promenade

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